Vivre avec la sclérose en plaques
La Vie
Numéro 2880 du 9 au 15 novembre 2000
SANTE

En France, de 50 000 à 60 000 personnes souffrent de sclérose en plaques, première cause de handicap après les accidents de la route. Une semaine d'information lui est consacrée du 8 au 15 novembre. La comédienne Marie Dubois a accepté de témoigner.

Elle a choisi la date du rendez-vous, un mardi. "C'est un bon jour pour moi, je vois mon psy et mon kiné, a-t-elle précisé au téléphone. Ils savent me remettre en forme tous les deux."
Marie Dubois sort de chez le kiné et traverse la rue lentement, pas à pas, la démarche hésitante, appuyée sur ses cannes anglaises. Le visage, lui, n'a pas changé, illuminé par les yeux clairs d'une comédienne qu'on ne peut oublier.
A 63 ans, Marie Dubois a appris à composer avec la vie. Elle en avait 23 et terminait le tournage de Tirez sur le pianiste avec François Truffaut lorsque les premiers signes d'une sclérose en plaques sont apparus. "Je commençais à réaliser mon rêve de toujours, raconte-t-elle. J'étais totalement passionnée par ce métier. Un jour, j'ai eu des papillotes devant l'œil gauche. Le lendemain matin, je me suis réveillée borgne."
A l'hôpital, le médecin établit sans peine le diagnostic. Marie Dubois ne pose aucune question. Elle connaît la maladie pour avoir vu l'une des secrétaires de son père en mourir. Comme souvent après une première poussée, les symptômes régressent en trois mois, jusqu'à disparaître totalement. Sa vue revient. Marie raye l'épisode de sa mémoire. "Cela paraît difficile à croire, mais j'ai vraiment oublié, dit-elle. Il n'était pas tolérable pour moi d'imaginer d'autres poussées, sinon, je me serais fichue en l'air. Je ne pensais qu'à revenir sur un plateau."
Et elle tourne. Avec Godard et Rohmer, Vadim et Lautner, et Truffaut encore, qui lui trouve son nom de scène, Marie Dubois, le titre d'un roman d'Audiberti. Elle enchaîne les films au cinéma et continue de jouer au théâtre, sa passion. Elle rencontre Serge Rousseau, comédien lui aussi et bientôt agent artistique, se marie avec lui et omet de lui parler de la maladie, comme elle oublie de la signaler au médecin lorsqu'elle accouche de Dominique, sa fille. "Ce n'était pas un mensonge, c'était sorti de ma tête", affirme-t-elle. Quinze ans plus tard, la maladie la rattrape. Une deuxième poussée touche à nouveau les nerfs optiques. Les symptômes régressent, mais une troisième crise atteint ses membres inférieurs. Sa démarche devient raide. Sur les tournages à l'époque, elle donne le change, prétexte une sciatique persistante. "Avec le recul, je crois que ce fut un secret de polichinelle, les acteurs se rendaient compte de mon état, mais ils faisaient semblant de me croire."
Le coup de grâce arrive plus tard, sur une scène de théâtre. La comédienne travaille ses répliques pendant un mois avec sa partenaire. "Lorsque j'ai lâché mon texte, pas un mot n'est venu, se souvient-elle. Une catastrophe. J'ai embauché un répétiteur, mais rien à faire. J'étais devenue incapable de retenir deux lignes." L'actrice sombre. S'enferme. Ses amis la tirent du gouffre. La comédienne Annie Duperey lui donne l'adresse d'un psychothérapeute. "C'est le meilleur conseil qu'on m'ait donné et que je donne aujourdhui aux malades: accepter de se faire aider, affirme Marie Dubois. On ne peut pas s'en sortir tout seul, parce qu'on ne sait pas contre quoi se battre."
Aujourd'hui, elle va mieux. Elle a appris à conduire une voiture adaptée à son handicap, sillonne les rues de Paris en savourant son indépendance et peste contre ceux qui ne respectent pas les places de parking pour handicapés. "On devrait augmenter les amendes : 200O francs, c'est un minimum ! Je voudrais les y voir, avec 140 mètres d'autonomie à pieds !" Elle s'émerveille de sa petite-fille, Lou, 19 mois, "même si c'est dur de penser que je ne pourrai jamais lui tenir la main", confie-t-elle. Surtout, elle a décidé de rompre le silence et d'assumer, tête haute, ce "mauvais coup de la vie". Mais elle rage lorsqu'un proche évoque son courage. "Je ne suis pas courageuse, je fais avec et c'est difficile", constate la comédienne qui a prévenu son entourage de se présenter longuement, au téléphone : "Les noms, même de personnes proches, ne me disent parfois rien, ils tournent sans évoquer de souvenir, c est angoissant. Mais dès qu'on rentre dans les détails, la mémoire revient."
A Garches, où elle passé son permis de conduite adaptée, elle a rencontré des malades plus atteints. "J'ai pris conscience que j'avais de la chance parce que la maladie m'a laissée en paix presque vingt ans." Elle qui, même en tournée, n'a jamais raté une messe, continue d'aller à l'église tous les dimanches, "avec des hauts et des bas. Parfois j'y crois, parfois j'ai du mal", dit-elle. Marie sait qu'elle n'est pas à l'abri de nouvelles poussées. "La suite, c'est la surprise du chef !" De temps en temps, un vieux copain metteur en scène l'appelle pour jouer un petit rôle ou juste apparaître à l'écran. "Ce sont eux qui sont courageux car je ne peux plus retenir de texte. Ils savent que j'ai toujours rêvé de jouer jusqu'à la fin de ma vie, comme Denise Grey. La dernière fois, je devais jouer en fauteuil roulant, c'était facile. Ça m'a fait un bien fou, le plateau, les odeurs, l'atmosphère d'un tournage, l'émotion, quoi."


BERTRAND FONTAINE, NEUR0LOGUE
"Un espoir pour les malades"

Nous avons demandé à ce spécialiste, exerçant à la Pitié Salpêtrière, à Paris, de faire le point sur les progrès dans le domaine de la sclérose en plaques.

Connaît-on l'origine de la sclérose en plaques ?
Non, on sait que la maladie évolue souvent en deux phases. L'une, dite "rémittente", se caractérise par des poussées successives dues à une inflammation de certaines zones du système nerveux. Dans un second temps, on constate la destruction d'une substance, la myéline, qui entoure les fibres nerveuses de la moelle épinière et du cerveau. La maladie progresse alors de façon plus régulière, mais elle est capricieuse et il n'existe aucune règle absolue. Nous ne savons pas quelles sont les causes de cette démyélinisation. Une chose est sûre : un facteur lié à l'environnement interagit avec un terrain génétique.

Quels traitements peut-on proposer aujourd'hui aux malades ?
Très clairement, nous n'avons pas de solution thérapeutique à proposer. Ces dernières années, des progrès ont été réalisés pour freiner la phase de début de la maladie. On parvient à agir sur l'inflammation avec des médicaments de deux types : les béta-interférons qui permettent de diminuer de 30 % le nombre des poussées et les lésions que l'on voit à l'IRM (Imagerie par Résonance Magnétique), et les immunosuppresseurs, aux effets secondaires importants et que l'on réserve aux périodes d'aggravation.

Prescrit-on le béta-interféron dès la première poussée ?
Non, car 20 à 30 % des scléroses en plaques restent bénignes. C'est une information souvent mal connue du grand public. Des patients subissent quelques poussées, puis n'entendent plus jamais parler de la maladie. On attend donc dix-huit mois et une deuxième crise pour commencer un traitement par interféron qui, il faut le savoir, présente des contraintes importantes.

On parle aussi de greffes de cellules, où en est-on ?
C'est en effet l'espoir de demain. Actuellement, on sait reconstruire de la myéline chez l'animal, sur de petites zones. Chez l'homme, les obstacles restent nombreux : la taille, d'abord et le développement du système nerveux. Mais des progrès ont, là aussi, été réalisés ces dernières années. Des équipes ont pu montrer qu'il restait des cellules immatures dans le cerveau. L'objectif est aujourd'hui de les stimuler, en leur injectant par exemple un facteur de croissance, ou de les sortir et les "cuisiner" pour les transformer en cellules myélinisantes. Cette technique va sûrement permettre de contourner un autre obstacle, éthique celui-là, l'utilisation de cellules d'embryons.

Claire Legros

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