QUEER NATION ET TRANSGENDER

Notre début de 21ième siècle voit s'opérer une mutation sans précédent sur ce qui est censé être le fondement de notre identité : le sexe. Grâce aux nouvelles technologies certains tentent d'abandonner derrière eux, les genres sexuels prédéfinis, les symboles masculins/féminins bien établis et autres clichés voulant qu'une lesbienne un peu masculine soit une "Butch" ou qu'un homo efféminé soit une "folle". Par delà les barrières du "genre", existent d'autres voies. Place à l'individu flottant, place à l'identité floue. L'être humain du futur sera Queer !
Un article de Maxence Grugier, paru à l'origine dans le magazine Discipline.

QUEER NATION ET TRANSGENDER : LA FIN DU GENRE

Le "genre" sexuel, être "un homme" ou "une femme", est considéré par beaucoup comme une des frontières établissant clairement notre identité en tant qu'individus. Nous nous savons dans un corps d'homme ou dans celui d'une femme, depuis notre plus jeune âge. Selon l'un ou l'autre cas, notre comportement vis à vis des autres est différent. Notre langage, nos goûts vestimentaires, nos attitudes diffèrent. Notre sexualité aussi. Et que l'on soit homosexuel ou hétérosexuel ne change rien à ce sentiment d'appartenance à l'un ou l'autre genre biologique. Pourtant, comme l'écrivait le philosophe radical Michel Foucault : "les genres sexuels sont des constructions sociales et culturelles aux limites pour le moins floues". C'est ce que pensent aussi deux théoricienne américaines Teresa de Laurentis et Judith Butler qui fondèrent les bases du mouvement Queer. Un mouvement qui place la liberté d'être soi-même sans contrainte sociale de "genre" au-dessus de tout. Aujourd'hui le mouvement Queer peut revendiquer une importante influence artistique, philosophique et sociale, un peu partout en occident.

LE QUEER, UN MUTANT DU 21ième SIECLE

Le Queer ou Transgender (littéralement celui qui transcende le genre), est une idée différente de la sexualité. Une " troisième voie" se situant entre le masculin et le féminin. Etre Queer c'est "ne pas se situer sexuellement", ou alors, attacher moins d'importance au fait d'être (ou de ne pas être) un homme/une femme. L'individu Queer est un mutant. Ce peut-être un homme, très masculin d'aspect, habillé de cuir de la tête au pied, mais aux cheveux longs, entièrement épilé et maquillé. Ces gestes dégagent une grâce peu commune et il fait tout autant fantasmer les hétéros que les homos. Ne laissant pas plus, à celui qui le croise, l'impression d'avoir aperçu un homme qu'une femme. Même chose du côté féminin. Les "Garçonnes" du 19ème siècle étaient en quelque sorte de parfaites Queer avant l'heure (Colette et plus tard Simone de Beauvoir). Intellectuelles de haut vol. Gracieuses, mais fumant comme les hommes, portant la "culotte" (ce qui étaient considérablement provocateur pour l'époque), souvent lesbiennes, mais pas plus masculine que n'importe quelle autre filles ou alors par jeu. Etre Queer c'est donc se situer dans la "non-définition" du genre, jongler avec ceux-ci, en jouer. De la "folle" au "Butch", en passant par le "Trans" ou le "Drag Queen", le Queer accueille tout le monde aussi. Tout comme le/la bisexuel(le) ou celui qui considère que sa sexualité et ses goûts dépendent de l'instant, du moment, de la rencontre et du hasard. De par son ignorance du genre, le Queer ouvre donc la porte à tous les styles de vie sexuelle. Un statut flou qui en est la principale revendication.

NAISSANCE ET MANIFESTE DU MOUVEMENT QUEER

Le mouvement Queer est né des "Sexual & Gender Studies" aux Etats-Unis. Une discipline universitaire qui s'appuyait sur les travaux de philosophes structuralistes tels Gilles Deleuze ou Michel Foucault. Ces théories se basent sur le fait que les genres sexuels (masculin/féminin) et notre sexe biologique (mâle/femelle) ne coïncident pas forcément. Ce flou artistique, cette inadéquation entre le sexe que nous a donné la nature et celui qui nous habite, ce que nous ressentons profondément au fond de nous, et qui permet au mouvement Queer d'accueillir tous les genres comme nous l'avons vu plus haut. Aujourd'hui, des philosophes et sociologues françaises tels que Marie Hélène Bourcier et Béatriz Préciado, respectivement auteurs de « Queer Zones » et "Le Manifeste-Contrat sexuel" représente la partie européenne du mouvement Queer. Elles pensent, non sans raison, qu'il faudrait même pouvoir inventer un langage spécialement conçu pour éviter les questions de genre. En effet, comme vous l'avez certainement constaté en lisant cet article, il y est question d'abolir les différences sexuelles au profit de quelque chose de nouveau, mais le vocabulaire lui, reste très "sexué". Les mots "masculin", ou "féminin" y sont obligatoires pour se situer. Preuve que le genre est profondément ancré dans notre façon d'être et de voir le monde. Problème qui apparaît moins dans les pays anglo-saxons, ou le "il" (He) ou le "elle" (She), peut être remplacer par le "it", qu'on pourrait traduire par le "ça" français sans le côté péjoratif du mot. Au fait, en France, le mouvement Queer est "classé" bisexuel ! Encore une tentative d'étiquetage !

GENRE ET TECHNOLOGIE, MILITANTISME QUEER

Comme on peu le constater, il n'est pas facile de sortir du genre. Heureusement, la technologie vient au secours de cette nouvelle façon d'aborder la sexualité. La cyber-sociologue Donna Harraway, auteur du "Cyborg Manifesto" (le Manifeste Cyborg) explique que le mythe science-fictionnesque du cyborg en tant qu'être asexué, transcendant les barrières du "genre". Pour elle, le cyborg est l'emblème métaphorique d'un avenir ouvert aux ambiguïtés et aux différences, par la réunion dans un même corps de l'organique et du mécanique, de la nature et de la culture. "Le cyborg de Haraway est un symbole vivant d'une différence - sexuelle, ethnique et autre - qui refuse d'être dissoute ou refoulée dans le tout venant…", note-t-elle. Postulat qui fait de nous tous, des cyborgs en puissance à mesure que des outils mécaniques font partie intégrante du corps humain. Pour Harraway, tout comme il devient de plus en plus difficile de savoir si l'objet assimilé est un humain ou une machine, il va devenir de plus en plus difficile de savoir si l'être assis en face de nous est un homme ou une femme. Une vision futuriste et quasiment militante du mouvement Queer et Transgenre que partage le Radical Queer Mouvement. Le RQM organisa des manifestations contre certains films hollywoodiens comme "Basic Instinct" jugé discriminatoire car il mettait en scène des lesbiennes criminelles et était considéré par le mouvement comme "politiquement incorrect". Ce collectif Queer est né lui aussi des "Gender Studies" dans les facultés américaines et il inspira de nombreux théoriciens(iennes) en Europe et dans le reste du Monde (Nouvelle-Zélande, Asie…). C'est en étudiant les idées de ce collectif que la célèbre sociologue militante et lesbienne française Monique Wittig (lauréate du prix Renaudot 2000 pour Opoponax) a décidé de partir vivre en Arizona et rejoindre ainsi le mouvement de contestation du genre, nord-américain.

AVANT-GARDE ARTISTIQUE ET SEXUALITE QUEER

L'impact de ces théories sur le monde artistique, où la liberté de l'individu est une donnée importante, a été énorme. Terre Thaemiltz, Dj Californien est le symbole parfait du mouvement Queer dans le milieu des musiques électroniques underground. Sur son site web "Comatonse", il déclare dans son "Miss Takes Dragifesto" : "Nous combattons les idées reçues avec la culture. Le Queer est une révolution dans l'histoire de la beauté ! Aussi, je lance un appel pour que vous veniez me rejoindre sur la ligne de front de cette reconstruction du genre. (…) La crainte n'apporte que des rides ! Relevez le front ! Vous n'êtes pas simplement un être étrange affublé d'une robe ou un garçon sans "jouet" entre les jambes. Vous êtes juste différent ! Renversons la culture asséchée des mâles dominateurs !". Côté rock ‘n ‘roll les Six Inch Killaz sont un "Punky Transvestite Drag Queen Trash Band”, à l'image des new-York Dolls en 77. Accoutrées comme des Drag Queens, elles chantent des chansons ironiques et mordantes sur le thème de la mise à bas de la domination masculine dans la culture populaire occidentale.
Le Queer s'affiche aussi au cinéma. Hans Schierl est un jeune cinéaste qui travaille sur les problèmes du genre et de la sexualité imposés par notre société. Dans des films quasi pornographiques il met en scène la violence (sexuelle et sociale) de la domination masculine. Plus commerciale, Karen Dior, la star du porno transsexuel exhibe son corps parfait pour le plaisir des hétéros et des autres, revendiquant l'hypocrisie hétéro qui veut qu'un homme "normal" n'ait que du mépris pour les transsexuelles alors qu'ils éprouvent bien souvent du désir et de la curiosité à leur égard… Sur le net, on peut trouver de nombreux sites dédiés au mouvement Queer. Parmi les plus remarquables, Dragnet, le site des "Transvestites, Drag Queens and other Flaming Creatures" et Anon plus cérébral... Les adeptes du Transgenre ont aussi beaucoup d'humour et il existe de nombreuses références de science-fiction Queer asiatique (Mangas Queer) et même des films de Vampire !

FETICHISME QUEER ET PRATIQUE SM

Et le fétichisme dans tout ça ? Bien sur, être fétichiste ne se résume pas à une histoire de dress-code et de "fashion victim". Pourtant les "créatures" Queer partagent avec une certaine scène Fetish l'amour du Latex et du PVC. Amoureux des belles matières, personnes de bon goût, les adeptes du mouvement sont aussi des adorateurs de la scène techno et des soirées fétichistes partout dans le monde. Tout comme la référence mondiale de la presse fétichiste Skin Two, offre une large place dans ses pages aux représentants et aux théoriciens du mouvement, ainsi qu'à tous les événements le concernant. On se souvient en particulier de ses "Ragin' Xenomorph" (les Xenomorphes enragés), sorte de parti-pris entre des Drag Queens et des créatures génétiquement modifiées à l'image de Marilyn Manson qui pose les cuisses écartés sans les attributs masculins qui devraient s'y trouver. Les pratiques SM Queer sont aussi de mise. Le piercing par exemple y est particulièrement apprécié, comme les pratiques sexuelles - et non sexuelles - généralement reconnues comme étant purement sado-masochistes (fist-fucking, stretching, flagellation ou domination et soumission…) Mais tout cela reste dans le cadre de l'intimité des participants étant donné que l'aspect sexuel n'est pas le plus important dans la culture et l'imaginaire du Transgender. Le Queer étant un mouvement plus cérébral, d'aspect social revendicatif que sexuel.

EN GUISE DE CONCLUSION

Avec l'apparition du mouvement Queer, ce sont nos codes sociaux que l'on se propose de remettre en question. Pour nous permettre de vivre dans un univers ou les mots "homosexualité", "hétérosexualité", "bisexualité", "transexuel" deviendraient flexibles et subjectifs, voire obsolètes.

Pour les futures générations, souhaitons que ces vieux antagonismes soient appelés à disparaître et la société ne s'en portera que mieux…

REFERENCES :

. "Le Manifeste Contrat-sexuel", Beatriz Preciado (Modernes/Ballands)
. "Queer Zones", Marie Hélène Bourcier (Modernes/Ballands)
. "The Cyborg Manifest", Donna Harraway : http://www.cyborgmanifesto.org/
. Comatonse Recording, le label de Terre Theamlitz : http://www.comatonse.com/
. "Miss Takes Dragifesto" : http://www.comatonse.com/thaemlitz/misstake.html

SITES INTERNET QUEERS & TRANSGENRES :

. Anon : http://www.phreak.co.uk/anon/
. Dragnet : http://www.phreak.co.uk/dragnet/
. Karen Dior : http://www.gaywired.com/karendior/
. Collectif Queer sur le net : http://www.deafqueer.org/
. Ressources d'informations Queer sur le net : http://www.qrd.org/
. Queer Art : http://www.queer-arts.org/
. Vampire Queer : http://www.queerhorror.com/Qvamp/index.html
. SkinTwo : http://www.skintwo.co.uk/

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